téléologique, téléonomique, téléomatique

Il n’est pas mauvais de définir quelques termes avant de commencer une discussion sur un sujet qui semble être en équilibre métastable et prêt de partir en vrille. C’est aussi l’occasion pour poser les bases pour dénoncer des pratiques pour le moins douteuses de certains, et des points de vue qui ne sont pas aussi explicitement exposés qu’on pourrait le souhaiter.

Les trois termes que j’ai choisi pour ce post sont tous à base de téléo-, du grec tέλος, fin.

Je commence par téléomatique, qui est une francisation du terme teleomatic, contraction de téléo- et automatique. On considère un processus comme étant téléomatique quand son résultat peut être prédit en utilisant une ou plusieurs lois naturelles. L’attraction de deux objets massiques est un exemple type qui fait intervenir une loi physique, la combustion de quelques bûches dans la cheminée en est un autre. Les prédictions dans le cadre premier exemple seront plus précises que dans le cadre du second, où la qualité des bûches et de la cheminée influencent le résultat final qui sera composé de cendres, charbon de bois et éventuellement de bois non brulé. Ce deuxième exemple est pris pour faire jouer un peu les chimistes, parce qu’il y a gavé de physiciens qui jouent et un peu de biodiversité ne ferait pas mal, et pour changer de l’exemple des trois corps en interaction gravitationnelle, mais en rappelant que même les processus téléomatiques peuvent avoir des comportements qui empêchent de définir de façon précise leur point final, ou même l’évolution du système au cours du temps.

Abordons téléonomique, dont l’utilisation semble avoir été popularisée en pays francophones par Jacques Monod, et qui désigne des processus qui font intervenir une quantité d’information contenue par l’un des objets considérés, exemple le développement d’un zygote placé dans des conditions adéquates. Ici l’information contenue par l’objet est son matériel génétique et le matériel contenu par le zygote au temps t0 (disons le moment de fusion des noyaux des deux gamètes, ou le moment de pénétration du spermatozoïde dans l’ovule, peu importe). La mention des conditions adéquates fait référence au fait qu’un zygote de mammifère, par exemple, dans un tube à essai n’a aucune chance de se développer, il faut qu’il soit implanté dans un utérus, naturel pour l’instant. Le développement est le résultat de l’expression du génome du zygote avec son environnement. J’ai choisi cet exemple parce qu’il permet de faire des prédictions raisonnables. On peut prédire qu’un zygote de dauphin donnera dans la majorité des cas un dauphin, probablement jamais un hérisson, mais dans quelques cas son développement avortera soit à cause de causes externes, soit internes, ou aboutira à un animal qui ressemble beaucoup à aux dauphins parentaux, mais sera suffisamment différent pour qu’une spéciation soit amorcée, ce qui limite nos prédictions. Il faudrait connaître de façon détaillée la composition du zygote ET maîtriser parfaitement l’environnement, pour améliorer nos chances de faire des prédictions correctes. Il est intéressant de noter ici que les processus téléonomiques sont un enchaînement de processus téléomatiques, enchaînement déterminé par l’exploitation de l’information portée par l’un des objets, ce qui laisse les processus téléonomiques dans le cadre strict des lois naturelles.

Faisons la pause pour nous intéresser aux pommes, qu’elles soient celles d’Israelchivili ou celles de Staune.

La chute qui intéresse le physicien est un processus téléonomique. Elle le reste téléonomique pour le biologiste, le contenu génique de la pomme n’étant pas un facteur déterminant pour la chute et le biologiste n’aura que faire si l’objet en chute est une pomme, une poire ou une noix de coco ou un hérisson. Le point de vue du biologiste commencera à diverger de celui du physicien quand l’expression du génome de l’objet considéré jouera un rôle dans le processus étudié, ce qui n’est pas le cas de la chute.

C’est au moment où le physicien devient incompétent en tant que tel et commence à revendiquer une interdisciplinarité qui ne caractérise ni Israelchivili (pour la part inter-, et sur l’exemple précis), ni Staune (pour la part -disciplinarité, et en général), que l’on passe d’un processus téléomatique (aussi complexe qu’il soit) à un processus téléonomique.
Ce passage n’est pas bien entendu restreint aux objets biologiques et le physicien quitte son domaine de compétences strict en abordant d’autres disciplines que la biologie, par exemple l’informatique ( ce n’est pas parce que l’on utilise un ordinateur que l’on fait de l’informatique, comme le pense la secrétaire du labo).

Suivant le type d’information porté par l’objet considéré et le programme qui permet son exploitation, et la connaissance que nous en avons, l’état final, ou l’état à un certain moment, du système sera prévisible avec plus ou moins de précision. Un programme qui additionne 1+1 donnera le plus souvent la réponse 2, sauf si un événement imprévisible produise une erreur interférant avec le déroulement du programme. Nous avons bêtement tendance à penser les systèmes informatiques exemptes d’erreurs, grâce aux efforts des ingénieurs informaticiens qui testent et double testent les résultats avec des algorithmes de vérification subtils (et IMO parfois sublimes) et corrigent celles qu’ils arrivent à identifier, et en dépit des efforts des équipes de Bill Gates dont l’écran bleu de la mort a été un pense-bête fabuleux de la faillibilité des systèmes informatiques.

Mais même en dehors des erreurs, le résultat de l’exécution d’un programme ne sera pas prévisible si l’algorithme utilisé inclut des portions aléatoires (stochastiques) qui déterminent le résultat.

On a tendance à penser à ceux des programmes dont le résultat est prévisible, leur structure étant téléologique.

Téléologique est utilisé pour décrire un processus dont le déroulement et le résultat ont été dessinés par une intelligence qui poursuit un objectif. C’est le cas du programmeur qui a implanté le programme d’addition qui donne (quasi) invariablement le réponse 2 à l’entrée 1+1. C’est le cas d’un artilleur qui se servira des lois naturelles (consciemment ou non, peu importe) pour expédier un projectile à une cible. C’est le cas d’un biologiste moléculaire qui utilisera une banque combinatoire de peptides pour identifier ceux ciblant un tissus pathologique dont il ignore les particularités par rapport à un tissus sain.

Téléonomique a été bâti comme néologisme en opposition à téléologique, pour signifier justement que dans un processus il y a absence d’interaction de la part d’un agent extérieur au dit processus ayant un objectif à atteindre. Les exemples téléologiques par excellence sont ceux liés aux attitudes religieuses qui a un moment ou un autre finissent par attribuer l’issue d’un processus quelconque, téléomatique, ou téléonomique, à une intentionnalité supra-naturelle, l’infame le fameux : God-did-it.


Revenons au commentaire de Xochipilli.

Honnêtement il n’y avait aucune arrogance dans son propos et si ça a donné cette impression, c’est mon interprétation qui en est la cause.

Honnêtement ? Ta traduction Xochipilli a balayé l’arrogance du physicien qui vient expliquer un phénomène téléomatique aux pauvres biologistes du haut de son ignorance (dont je ne peut vraiment mesurer l’étendue de ce simple extrait, mais qui est évidente).

Concernant le “pan-adaptationisme”, je ne te convaincrai manifestement pas ni avec ma prose, ni avec mon billet sur les liens entre le vivant et les figures des ondes dans l’eau 😦

Non, ce n’est pas ton billet qui me convaincrait, je ne suis pas pan-adaptationniste, à vrai dire je ne le suis plus depuis que j’ai pigé la théorie de l’évolution biologique au milieu des années ’80. Et ce n’est certainement pas une juxtaposition de formes ressemblantes qui pourrait me convaincre, et certainement pas dans le sens que tu les présente.

Dans une approche téléonomique de l’évolution biologique, souvent celle des fondamentalistes réductionnistes que sont les biologistes moléculaires dont je suis, les contraintes diverses et variables sont prises en compte, qu’elles soient mécaniques, ou génétiques, ou autres, dès lors que l’on souhaite définir les limites du système étudié. Elles ne peuvent renseigner que ce point particulier, les limites, et certainement pas celui de l’évolution à l’intérieur de l’espace qu’elles définissent.

J’ai illustré par le passé ceci avec JeanWalker et si tu le souhaites je reprendrai le sujet de façon plus étendue ici, le fil de discussion le concernant ayant été détruit à cause de la nuissance que représentait Vincent Fleury, tenant absolument à détourner le sujet vers sa théorie.

Tu dis :

Compte tenu de la complexité des êtres vivants un horloger vraiment aveugle du vivant (le hasard) transformerait vite son atelier de montres en dépotoirs à ferrailles, à force d’essayer n’importe quelle variation dans le mécanisme de ses montres.

M’est avis que tu n’as pas lu « The Blind Watchmaker » et que tu ne comprends pas ce qu’est l’évolution biologique et comment la sélection naturelle évite de transformer l’atelier en dépotoir. Je trouve navrant à avoir à répéter les définitions, à l’occurrence pour rappeler que la sélection naturelle n’est pas aléatoire.

Tu ne le sais peut-être pas mais je ne commente plus aux blogs que Tom tient/modère, son comportement m’ayant froissé par le passé. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas commenté sous le billet de Vran. On a beau être des fondamentalistes réductionnistes nous autres, on est quand même au courant aussi bien du caractère pléiotropique de l’expression d’un gène ou de ses allèles, comme on est au courant qu’à partir d’un génome hérité d’un ancêtre commun pas trop éloigné la probabilité d’obtenir des combinaisons phénotypiques proches est élevée.

Tu trouves intéressante la recherche des contraintes. Soit, c’est l’équivalent de trouver intéressante l’étude des facteurs de la sélection naturelle, si ce n’est que tu te limites à deux types (au moins dans ton commentaire et les billets que tu lies), les contraintes mécaniques et génétiques. Il y en a d’autres types. Et ça ne nous renseigne en rien quant aux mécanismes en oeuvre pour produire la biodiversité.

Par contre l’approche des réplicateurs égoïstes de Dawkins (gènes et mèmes) permet d’une part d’expliciter les mécanismes évolutionnaires, d’autre part de définir les facteurs de sélection (qui sont les contraintes évolutives). C’est une approche que je trouve bien plus excitante parce que pas restreinte par les compétences d’une seule (ou quelques) discipline(s).

Elle permet d’expliciter le caractère téléonomique de l’évolution biologique et son fonctionnement, sans avoir besoin de recourir à la définition des limites, qui supposent une connaissance du milieu au sein duquel le processus a lieu, ou à un agent externe au processus, du genre du dieu de Staune (qui est créationniste comme Francis Collins actuel directeur du NIH [salut Jean :-P]).


Je comprends que l’on puisse écrire :

Cette approche purement mécanique des formes naturelles a quelque chose de fascinant.

Expliquer la beauté du vivant par la seule puissance des lois de la physique est d’autant plus élégant qu’on a un peu tendance à se contenter de l’argument -trop facile- de la sélection naturelle.

Mais en utilisant les lois de la physique pour décrire les formes naturelles n’explique absolument pas comment elles ont évolué ET c’est un des arguments de la sélection naturelle que tu es en train de mettre en place 😉

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