#DIYbio – 2a

Dans « Biohackers ? Je préfère Biopunks » j’ai juste noté quelques points que Tom traitait dans son billet et ses commentaires. Je reviens vers la discussion qui s’est tenue dans les commentaires et à la quelle j’évite de participer directement (pour des raisons connues des vieux du blog).

Il y a un point qu’il est simple à comprendre, même pour des non-biologistes, qui nous vient du mariage des travaux de Mendel et de la génétique moléculaire qui a permit le lien entre le concept du gène et de son support physique, sous forme d’acides nucléiques, ADN (le plus souvent) et ARN, ce qui caractérise de façon très basique les organismes vivants : ils sont porteurs d’un replicateur qui contient l’information qui les définit. Commencez à tergiverser au sujet de cette notion simple et vous rentrez de plein pied dans le négationnisme scientifique anti-Mendel 🙂

Un des piliers de la biologie moderne et comment jouer au St Thomas dans votre garage.

C’est en 1928 que Frederick Griffith observe un fait étonnant : Si on injecte à des souris des pneumocoques R (inoffensifs) vivants et S (pathogènes, mortels) morts la plupart des souris meurent; on pourrait penser à une toxine portée par les S, qui agirait même si les bactéries étaient mortes, si ce n’est que Griffith a aussi trouvé des bactéries S vivantes ! C’était ça la surprise. Griffith n’a pas sauté sur l’occasion de crier au miracle et rebaptiser les pneumocoques lazarii ou quelque chose du genre. Par contre, la notion d’un principe transformant les bactéries R en bactéries S était née.

Il a fallu attendre les résultats du travail d’Oswald Avery, Colin MacLeod et Maclyn McCarty, en 1944, pour savoir que le dit principe transformant était l’ADN.

Bon, maintenant on le sait, le génome des bactos S mortes peut transformer les bactos R vivantes en bactos S. L’information nécessaire pour le phénotype S est contenue dans l’ADN et les bactéries R qui le reçoivent peuvent la traiter/exprimer et se transformer en bactéries S.

Si vous n’êtes pas convaincu, l’approche de St Thomas est certainement la meilleure pour se former une idée. Prenez une bactérie sensible à un antibiotique, transformez là en lui injectant un gène dégradant (par exemple) le dit antibiotique, et vous avez une bactérie résistante au dit antibiotique, une bactérie qui a gagné une fonction catabolique. Simple à faire dans votre garage et très pédagogique.

Facile à établir la relation causale entre la présence et l’expression d’un gène particulier, la fonction du produit du gène et le phénotype bactérien. Si vous ne comprenez pas ça, votre cas est désespéré et je ne pense pas qu’il y a grand chose à faire pour vous sauver de votre triste état intellectuel, arrêtez donc de lire mes notes et allez vous amuser par ici, c’est plus proche de votre âge mental. Et surtout, surtout, n’essayez pas la DIYbio, vous seriez dangereux à ne pas comprendre ce que vous faites.

Je vais revenir au travail d’Averty et al. pour quelques lignes. Ils ne savent pas combien de gènes ils injectent aux R pour les rendre S. Ils n’ont aucune idée de la voie métabolique dont il s’agit. Ils savent par contre pertinemment que le nécessaire a été fait. Le plus probable est qu’un des gènes mutants, inactifs chez les R a été remplacé par au moins une copie fonctionnelle venant de l’ADN des S. C’est l’hypothèses la plus parcimonieuse.

Mais on peut envisager d’autres cas, où les fonctions de deux ou plus gènes défectueux peuvent être ainsi complementées pour rétablir un phénotype. Ou on peut aller plus loin pour prédire que l’on pourrait de la sorte transplanter des voies métaboliques inexistantes, une version plus complexe que l’exemple du gène dégradant un antibiotique. Et dont l’activité globale ne serait pas un simple catabolisme, mais serait associé à n anabolisme dont les produits nous intéressent. Sans que l’on sache exactement ce que l’on a transporté d’un génome à l’autre.

C’est exactement ce que l’on fait en produisant des hybrides végétaux par croisement, mais en ayant court-circuité la reproduction sexuée, en pratiquent le transfert horizontal des gènes ! Impressionnant, non ? Certes, on ne pourrait pas se la péter génial et novateur à pratiquer le transfert de gènes suivant un protocole vieux comme la vie et en aveugle, mais on peut se la péter génial et novateur si on dessine un procédé de sélection (fort artificielle et donc naturelle) pour isoler les produits qui nous intéressent.

Mendel avait montré que l’information génétique pouvait être recombinée pour produire des nouveaux phénotypes, Averty et al. ont montré quel est le support de cette information. Watson et Crick découvrent la structure d’un des supports de l’info génétique, l’ADN, et il faut attendre Jacob et Monod pour apprendre comment cette information est traitée non pas de façon constitutive mais conditionnelle, pour introduire la notion du « if (condition[s]) then (action[s]) else (action[s]) end if » en biologie moléculaire du gène.

Il est difficile de comparer un gène à un programme informatique, la comparaison la plus simple est avec une fonction informatique. Pour commencer à penser programme en biologie il vaut mieux considérer des voies métaboliques ou des voies de transduction du signal. Et il ne faut pas oublier au passage qu’une telle voie est servie par les produits de gènes.


Les pneumocoques R sont un système qui peut être chargé (littéralement) de l’information nécessaire et suffisante (ADN des pneumocoques S) qui après lecture (transcription) et traitement (traduction) les transformera en pneumocoques S.

Les bactéries, ne fonctionnent pas comme un ordinateur, mais, sont des systèmes de traitement d’information, comme les ordinateur.

  1. #1 par Tom Roud le septembre 12, 2009 - 2:45

    Il est difficile de comparer un gène à un programme informatique, la comparaison la plus simple est avec une fonction informatique. Pour commencer à penser programme en biologie il vaut mieux considérer des voies métaboliques ou des voies de transduction du signal. Et il ne faut pas oublier au passage qu’une telle voie est servie par les produits de gènes.

    Oui, mais je crois que la question est vraiment : une bactérie est-elle « réductible » à ses gènes ? Et ce n’est pas si clair : comme je le disais dans le billet suivant, il y a des comportements émergents; par exemple il y a les effets stochastiques qui font qu’une bactérie change de phénotype aléatoirement. Et le contrôle pour « changer de phénotype » est essentiellement physique (fluctuations thermiques). Pour reprendre l’analogie informatique, la fonction « changer de phénotype » n’est pas une décision prise au niveau génétique par la bactérie.

    Pour revenir sur la question du fait que la bactérie est réduite à ses gènes ou non, cela me semble un peu similaire au débat …. sur l’avortement. Les catholiques, entre autres, t’expliquent qu’un embryon est équivalent à un être humain car il contient le potentiel pour avoir un être humain, le « programme » pour donner un être humain. Ils assimilent alors l’humain potentiel à l’humain. La relation entre génome et bactérie me paraît être du même ordre qu’entre embryon et humain : le génome peut « générer » une bactérie, mais cela ne veut pas dire qu’une bactérie est équivalente à son génome.

  2. #2 par Oldcola le septembre 12, 2009 - 3:26

    Sans blague Tom, « la question est vraiment » ?

    Mon argument ici est que les organismes vivants, bactéries comprises dans le lot, sont des systèmes de traitement d’information. Net, clair et précis.

    D’autres questions peuvent être discutées à part, cette fondamentale étant acquise.

    Je suis d’accord que la décision « changer de phénotype » peut ne pas être prise au niveau du génotype, mais le spectre des phénotypes ET les effecteurs qui permettront le changement du phénotype sont génétiquement déterminés. Le génome détermine la bactérie qui sera une bactérie et non pas un zèbre à rayures orange et or.
    Les phénotypes qu’un génome particulier permet d’adopter sont le résultat de l’interaction de ce génome particulier avec l’environnement.

    Tu sais que je n’aime pas particulièrement du tout les analogies gratuites, surtout quand elle ne servent pas grand chose à part brouiller la discussion. Laisse tomber les catholiques ou autres religieux divers et variables STP, tu sais bien combien leur point de vue peut ne pas m’intéresser.
    Les notes ici concernent la biologie, pas les options philosophiques des uns et des autres, les miennes comprises.
    Si tu veux bien reformuler le dernier point ça serait sympa.

  3. #3 par Tom Roud le septembre 12, 2009 - 5:32

    Bah toute cette histoire vient du fait que je trouvais l’analogie informatique=bactérie capillotractée, mais apparemment cette comparaison là ne te gêne pas trop. Après, peut-être que je réponds à côté de ton objection, je suis au moins trois fils sur le sujet entre mon blog et ici !

    Mon argument ici est que les organismes vivants, bactéries comprises dans le lot, sont des systèmes de traitement d’information. Net, clair et précis.

    Euh, je ne suis pas d’accord sur deux points.
    D’abord, le vivant « crée » aussi certainement de l’information, ce n’est pas du tout une simple machine de traitement, et là il y a clairement une subtilité et une différence qualitative à mon avis.
    Ensuite, en réalité, ton claim est beaucoup trop flou : par exemple c’est quoi l’information ? Ce qu’un type comme Turing a fait, c’est de dépasser ce genre de phrases en réalité assez creuses pour définir mathématiquement des concepts, il a ainsi proposé les machines de Turing et montré qu’elles ne sont capables de traiter que certains types de problèmes. Typiquement, les problèmes indécidables ne sont pas traitables par des machines de Turing, par définition. Lorsque tu parles de façon floue de « systèmes de traitement de l’information », c’est en fait un retour en arrière pré-Turing, puisque tu ne dis rien sur la nature des problèmes qu’une bactérie est capable de résoudre, ce qui est la « bonne » notion mathématique pour précisément discriminer qualitativement entre un « système de traitement de l’information » et un autre et savoir dans quelle mesure une bactérie est comparable à un ordinateur.

    Sur l’avortement, ce n’est pas du tout une provoc’ de ma part, mais un constat sur l’assimilation entre ce qui est potentiel et la réalisation du potentiel.

  4. #4 par Oldcola le septembre 12, 2009 - 6:32

    Bah toute cette histoire vient du fait que je trouvais l’analogie informatique=bactérie capillotractée, mais apparemment cette comparaison là ne te gêne pas trop.

    Je pense effectivement que la particularité des objets vivants est le traitement de l’information reçue par leur environnement en fonction de l’information contenue dans leur génome et que cette dernière les spécifie. Et j’ai donné mes arguments qui sont factuels, pas des options philosophique ou des pensées abstraites.

    D’abord, le vivant “crée” aussi certainement de l’information, ce n’est pas du tout une simple machine de traitement, et là il y a clairement une subtilité et une différence qualitative à mon avis.

    Tu as probablement raison, mais ceci n’altère pas le fait qu’il y a traitement d’information puisque je ne précise pas l’origine de l’information traitée. J’ai senti que l’objection, qui est pinailleuse entre nous, allait venir, c’est pourquoi j’ai écrit ici :

    il ne reste pas moins factuel que les systèmes biologiques sont des systèmes capables de traitement d’information reçue de l’extérieur ou générée in situ.

    Franchement, je ne sais pas si c’est correct de dire qu’il y a génération d’information, je préfère parler d’enrichissement du génotype plutôt maintenant qu’on en est au détails.

    Ensuite, en réalité, ton claim est beaucoup trop flou : par exemple c’est quoi l’information ?

    Mon claim est flou ?. L’ADN des pneumocoques S contient l’information nécessaire que les pneumocoques R peuvent traiter pour acquérir le phénotype S. C’est un fait. Sauf si tu contestes qu’il y a transfert d’information lors de la transformation bactérienne, auquel cas la discussion est dans une impasse. La question nette est : acceptes-tu qu’il y a transfert d’information dans ce cas précis, oui ou non et pour une fois essaie d’y répondre en monosyllabe.

    Je n’ai pas comparé les bactéries, ou n’importe quel autre objet vivant à une machine de Turing et franchement quand on en vient à Turing je suis plus concerné de la façon dont il a été traité parce qu’il était homo que par ses machines.
    Quelle que soit la nature de l’information ou la définition en usage, la question ci-dessus reste posée.

    Lorsque tu parles de façon floue de “systèmes de traitement de l’information”, c’est en fait un retour en arrière pré-Turing, puisque tu ne dis rien sur la nature des problèmes qu’une bactérie est capable de résoudre, ce qui est la “bonne” notion mathématique pour précisément discriminer qualitativement entre un “système de traitement de l’information” et un autre et savoir dans quelle mesure une bactérie est comparable à un ordinateur.

    Je ne cherche pas à différencier les systèmes de traitement d’information, ou à préciser quels problèmes particuliers un organisme vivant peut résoudre. Ce n’est pas mon propos et je ne compte pas changer de sujet pour te faire plaisir. La comparaison entre « bactérie » et « ordinateur » que je fait se limite au fait qu’il s’agit de deux systèmes de traitement d’information.
    Et que j’espère que les gens qui s’intéresseront au DIYbio aborderont la question dans ce sens.

    Sur l’avortement, ce n’est pas du tout une provoc’ de ma part, mais un constat sur l’assimilation entre ce qui est potentiel et la réalisation du potentiel.

    Le potentiel est loin d’être suffisant, l’interaction avec l’environnement est cruciale. Sinon il faudrait qu’on prenne e considération le potentiel de tous les gamètes qui finissent en engrais à travers la biosphère, pour ne parler que des gamètes perdus. La batterie de ton portable elle a le même potentiel que tu la court-circuites ou que tu t’en serves pour faire fonctionner le portable. Non ?

  5. #5 par Tom Roud le septembre 12, 2009 - 11:16

    La question nette est : acceptes-tu qu’il y a transfert d’information dans ce cas précis, oui ou non et pour une fois essaie d’y répondre en monosyllabe.

    Oui dans ton exemple précis, mais dire qu’il y a de l’information ne veut pas dire qu’on sait ce que c’est. Encore une fois, il y a peut-être création d’information (l’échange d’ADN n’est pas tout, il faut produire les protéines, etc…). Cela me paraît le point important à savoir (en général).

    Je ne cherche pas à différencier les systèmes de traitement d’information, ou à préciser quels problèmes particuliers un organisme vivant peut résoudre. Ce n’est pas mon propos et je ne compte pas changer de sujet pour te faire plaisir.

    C’est peut-être bien ça le problème 😛 . Je pense que c’est la question cruciale derrière le débat. Quand on dit que les bactéries sont un système qui traite de l’information, on n’a pas dit grand chose comme je disais plus haut ; tout ce qui est vivant ou électronique en fait autant, mais cela ne veut pas dire qu’il faut mettre sur le même plan un téléphone portable, une bactérie ou mon cerveau.

    franchement quand on en vient à Turing je suis plus concerné de la façon dont il a été traité parce qu’il était homo que par ses machines.

    Je trouve un peu triste que tu dises cela. Non pas que la façon dont il a été traité ne soit pas scandaleuse, mais s’il m’arrivait un malheur, j’aimerais que les gens se souviennent plus de moi pour mes contributions scientifiques que pour mon malheur. Surtout qu’en l’occurence, Turing est l’un des plus grands génies du siècle dernier, et est complètement d’actualité, y compris en biologie (c’est pour ça que c’est doublement triste).

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